Malgré la dénonciation par l’ONU d’un nettoyage ethnique contre la minorité musulmane, le Sénat américain étudie une normalisation des relations militaires avec la Birmanie afin de poursuivre la stratégie d’endiguement de la Chine.
Le bras de fer entre les États-Unis et la Chine ne se cantonne pas à l’Asie du Nord-Est et à la crise nord-coréenne. Il passe également par la Birmanie, où les Rohingyas, minorité musulmane apatride, sont l’objet de vagues de persécution régulières de l’armée. La dernière, datée du 25 août, a déjà provoqué la mort de 500 personnes et poussé 313 000 autres à la fuite vers le Bangladesh. Les Nations unies, dont le Conseil de sécurité doit évoquer le sujet lors d’une réunion aujourd’hui, évoquent un « exemple classique de nettoyage ethnique ». Or le gouvernement birman, de facto dirigé par la lauréate du prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, refuse de laisser entrer sur son sol la mission internationale indépendante, mise sur pied par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, qui permettrait pourtant de faire la lumière sur les exactions et les responsabilités. « Nous avons reçu de multiples rapports et des images satellite montrant des forces de sécurité et des milices locales brûlant des villages rohingyas, et des informations cohérentes faisant étant d’exécutions extrajudiciaires, y compris de tirs sur des civils en fuite. Le gouvernement devrait cesser de prétendre que les Rohingyas mettent le feu à leurs propres maisons », a expliqué Zeid Ra’ad Al Hussein, haut-commissaire de l’ONU aux droits humains.
Malgré les alertes de l’ONU et les appels aux sanctions, le Sénat américain étudiera cette semaine un projet de loi de défense visant à renforcer la coopération militaire avec la Birmanie. L’ancien candidat républicain à la présidence John McCain, qui préside le Comité des forces armées du Sénat, a refusé de dévoiler le contenu du texte alors qu’un embargo sur les ventes d’armes court toujours. Pourtant, même les cercles de pensée conservateurs font part de leurs réticences. « Une plus grande normalisation des relations militaires avec la Birmanie est la dernière chose que nous devrions faire actuellement. Nous enverrions un signe terrible », a mis en garde l’analyste Walter Lohman de l’Heritage Foundation, émanation de la droite dure. Hier, dans une lettre au Congrès, 85 organisations de la société civile birmane appelaient Washington à ne pas voter ce projet, qui équivaudrait à un blanc-seing aux massacres via une assistance technique. L’armée reste « le plus grand obstacle à l’établissement de la démocratie et aux droits de l’homme », souligne Aung Khaing Min, directeur de la plate-forme Progressive Voice.
Les États-Unis poursuivent en réalité leur stratégie de pivot vers l’Asie et d’endiguement de la Chine, initiée par l’ex-président Barack Obama. Ils sont aidés dans leur entreprise par l’Inde, dont le premier ministre, Narendra Modi, a félicité le gouvernement birman pour sa gestion de la crise. Théâtre de rivalités entre l’Inde et la Chine, la Birmanie suscitent également les convoitises américaines et européennes. Électricité, gaz, hydrocarbures, infrastructures routières, téléphonie, pierres précieuses… le pays a des airs d’eldorado et le partenariat stratégique noué avec Pékin depuis 1988 n’est pas du goût de tous. La Birmanie est un nœud essentiel des routes de la soie chinoises depuis l’inauguration, en 2013, d’un oléoduc et d’un gazoduc à Kyaukpyu (État de l’Arakan, d’où sont issus les Rohingyas) reliant les deux pays. L’idée du gouvernement chinois était de s’assurer un débouché sur l’océan Indien et de réduire sa dépendance au détroit de Malacca, où la présence américaine est importante. L’Inde est elle aussi présente en Birmanie grâce à un projet pharaonique de corridor fluvial. New Delhi investit ainsi dans l’hydroélectricité le long du fleuve Chindwin et dans l’exploitation du gaz offshore. Mais les États-Unis et l’Union européenne, qui négocie actuellement avec la Birmanie un accord de protection des investissements, voient dans le processus de transition politique un moyen de contrer l’influence de la Chine. Quel qu’en soit le prix.